Je suis folle, je sais et peut-être criminelle. Mais tout ce que je fais, je le fais d'instinct, sans raisonner. Quand je tombe amoureuse j'aime totalement et refuse tout partage. Je n'aime pas qu'on me résiste, je prends, je conquiers de haute lutte mais j'ai horreur qu'on me prenne. Je me sens conquérante et prédatrice. Quand je n'aime plus je passe d'un extrême à l'autre et me mets à haïr celui que j'adorais la veille. S'il s'accroche à moi il faut absolument que je me débarrasse de l'être dont je ne partage plus les sentiments. Oui, je sais, je suis une mante religieuse. Une femme-stryge. Une goule! Mais il n'est pas facile de nos jours, dans notre univers policé, de suivre ses penchants jusqu'au bout.
Il y a à peu près un an je vis à la télévision, lors d'une séquence publicitaire, un homme d'une beauté fabuleuse. Cela fit tilt en moi. J'en tombai éperdument amoureuse, dans la minute même! Je pris un taxi, allai boulevard Pereire à la 5 où je demandai à visionner le programme du soir que je n'avais pas eu la précaution d'enregistrer sur mon magnétoscope.
Un employé complaisant accéda à mon désir et me permit de retrouver la séquence. Je lui demandai de la copier, ce qu'il fit, puis je lui demandai le nom et l'adresse de l'acteur. Il me dit qu'il l'ignorait, qu'il doutait de pouvoir me rendre ce service. Comme j'insistai, il me donna l'adresse de l'agence de publicité qui avait réalisé le film. Le soir, dans mon lit, je repassai dix fois la séquence, subjuguée par le merveilleux sourire de l'inconnu, son regard étrange, sa bouche sensuelle... Bref, j'en étais folle et je me masturbai savamment jusqu'à l'extase rien qu'en le regardant.
Le lendemain j'étais à l'Agence Saatchi & Saatchi où une jeune réceptionniste me confia à un jeune cadre séduisant qui voulut bien entendre jusqu'au bout ma très curieuse requête.
Je quittai l'agence avec l'adresse et le numéro de téléphone de mon bel inconnu ainsi qu'une proposition pour une séance de casting. Dès que je fus chez moi, je repassai le bout de film sur ma télé et appelai David Ashley, l'acteur. Une voix chaude que j'eusse reconnue entre dix mille me répondit, ensommeillée. Je me présentai sous mon vrai nom, Lilith Devilwood et sollicitai un rendez-vous.
David accepta sans hésitation et m'invita au Fouquet's. Vêtue avec sobriété, décoiffée avec art, maquillée modestement, j'arrivai un peu à l'avance, m'assis à un endroit stratégique de la terrasse et guettai l'apparition de David.
Je le vis de loin remonter les Champs Elysées, mains dans les poches de son jean's, très décontracté, plus beau encore au naturel qu'à la télé. Il longea la terrasse, dévisagea les jolies femmes qui s'y prélassaient nombreuses et que son allure de jeune dieu ne laissaient pas indifférentes.
Je lui souris, il me sourit
Je vis son regard passer sur moi, ma caresser, s'y attarder un instant avant de s'éloigner pour se reposer plus loin. Ayant fait le tour il revint, toujours nonchalent, me regarda encore, plus longuement. Je lui souris. Il me sourit. Il ne me demanda pas si j'étais Lilith Devilwood mais s'assit en face de moi avec une nonchalence féline. Nous nous dévisageâmes en silence puis il commanda du champagne sans me demander si j'aimais ça, ni s'enquérir de mes goûts. Autour de nous cela papotait et goujonnait ferme. Je n'étais pas la seule admiratrice de mon Apollon. Il est vrai que les hommes me regardaient aussi, mais avec plus d'hypocrisie.
- Eh bien Lilith, que puis-je pour vous? susurra-t-il de sa belle voix de bronze.
- Vous!
- Quoi moi? fit-il étonné.
- Je vous veux, vous!
Interloqué par ma franchise il planta ses yeux dans les miens et, voyant que je ne détournais pas mon regard il éclata d'un grand rire communicatif. Je ris aussi.
Il ouvrit son portefeuille, y prit une photo de lui sur laquelle il griffonna quelques mots et me la tendit après l'avoir dédicacée!
Puis il se leva, toujours souriant !
- So long Lilith! Je vous laisse l'addition!
Et aussi décontracté qu'à son arrivée il repartit mains dans les poches entre les tables, suivi d'une traîne de regards féminins, m'abandonnant avec sa photo, une bouteille de champagne à peine entamée, la note à payer et une formidable fureur rentrée.
Je bus deux flûtes de Don Pérignon, réglai et me levai, sentant le regard ironique de mes voisines ravies de ma déconvenue. Tout en marchant je ruminai ma vengeance. Je réfléchis à toutes les manières dont je pourrais punir ce petit prétentieux après l'avoir séduit, mais n'en trouvai aucune qui me satisfît.
Je me mis à harceler David au téléphone. Il fit changer son numéro et se mit sur la liste rouge. J'adressai des lettres anonymes à son agence et à la télévision. Je lui expédiai des étrons de chiens et des excréments de chats dans de séduisantes boîtes en chocolat. Je ne dormais plus, je ne mangeais plus tant j'étais obsédée par David, amoureuse de cet adorable petit mufle.
Pour me changer les idées je me présentai aux studios de la 5 à la séance de casting à laquelle j'avais été conviée. Je fus prise d'emblée et cela me rassura un peu. Quelques petits tournages me firent passer le temps et me divertirent de mon obsession. Un jour, entre deux séquences, je lus dans une revue féminine, la petite annonce suivant
Dah Gbemavo Grand voyant médium de naissance
Voyant pur
Retour d'affection
Envoûtement et Désenvoûtement
Vengeance et Punition
Paiement après résultats
Contacte et adresse:
Telephone: 00229 62-01-78-96 ou whatsapp disponible.
Adresse : Rue de l'etoile rouge
Tél: +229.62.01.78.96
J'appelai au numéro indiqué et pris rendez-vous pour le lendemain. A Vincennes mon "Grand Voyant" demeurait au septième étage d'un immeuble sordide, sans ascenseur, dans une double chambre de bonne qui sentait le stupre et la sueur. Je faillis repartir mais le Noir qui me reçut avait une incontestable présence, avec sa petite barbiche grise, ses yeux profonds et lumineux. Il m'invita à m'asseoir sur le lit, lui-même prenant place juste en face de moi sur un petit tabouret à trois pieds.
Il saisit ma main gauche, l'examina, puis la droite qu'il tâta longuement avant de me demander ce que je désirais. Je lui montrai la photo de David et lui dis:
- Je veux qu'il m'aime! Qu'il soit fou de moi! Je payerai ce qu'il faudra.
Le Mage me regarda bien au fond des yeux et me dit de sa curieuse voix haut perchée à l'accent exotique:
- Il rampera à vos pieds, jolie M'amzelle! Il viendra manger dans vot'main! Pa'ole de Sélim, j'vous le promets! Ça vous coûtera bobo!
Il enfila des gants, prit la photo et la plaça dans un petit appareil métallique qui la dupliqua. Il me rendit l'original et me demanda de me déshabiller.
Comme j'allais refuser, il me regarda de ses yeux clairs, chaleureux, sincères et dit:
- Il le faut absolument M'amzelle! Mais ne craignez rien, Sélim ne vous touchera pas! J'ai juste besoin d'une photo de vous!
Pas pudique de nature, même plutôt exhibitionniste, je me dévêtis complètement sans la moindre gêne et m'assis sur mes vêtements pour éviter que ma peau soit en contact avec le douteux couvre-lit. Je me promis de corriger promptement le Négro s'il se risquait au moindre geste équivoque.
Le Mage ne fit aucun commentaire, prit trois clichés au Polaroïd, attendit patiemment leur sortie de la boîte. Il ne me regarda même pas, ce qui n'était pas loin de me vexer. Il plaça ma photo à côté de celle de David sur une planchette de bois tendre qu'il posa sur mes genoux et me tendit une petite pelote de laine noire plantée de plusieurs aiguilles de couleurs différentes et de longueur inégale.
J'obéis à cet inconnu bizarre comme une petite fille soumise !
Il me demanda d'arracher un de mes cheveux, de le tremper dans mon sexe puis de l'enrouler autour d'une aiguille noire qu'il me désigna. Cette cérémonie bizarre me plongea dans une sorte de crainte mystique. Et voilà que moi, d'habitude indépendante, personnelle, rétive à tout commandement, j'obéissais à cet inconnu bizarre comme une petite fille soumise! Sous ses directives je plantai la première aiguille dans l'oreille de David, puis une autre dans son oeil droit. Le Noir marmonna une sorte de prière dans une langue inconnue.
Après quoi il me reprend les photos et les aiguilles et me dit:
- Vous pouvez vous rhabiller ce sera tout pour aujourd'hui.
- Combien vous dois-je? demandai-je avant de le quitter.
- Ce que vous voulez! Aujourd'hui ce ne sont que des préliminaires! Vous reviendrez lundi!
Je déposai deux cents francs sur le bureau encombré.
Je passai une semaine abominable malgré deux petites séances de tournage et diverses interwiews en présence de l'attachée de presse de l'agence de pub.
Samedi soir j'eus même la désagréable surprise d'être présentée à la télé comme la plus riche héritière d'Angleterre et la révélation de l'année.
Le lundi suivant, après une nuit d'insomnie et un dimanche affreux, je retournai chez Sélim Canfiori. Il me fit déshabiller, me pria à nouveau d'arracher un de mes cheveux que je trempai dans mon sexe avant de l'enrouler autour d'une aiguille. Mais cette fois le mage avait préparé une poupée de cire qu'il déposa sur la photo de David.
Sous ses directives je plantai la première aiguille à l'emplacement du coeur, la seconde à la racine du sexe et une troisième dans l'oeil gauche tandis que Sélim prononçait des paroles incompréhensibles.
Avant de prendre congé, le Mage me dit: - Si tout va bien vous aurez des nouvelles de David cette semaine. Revenez lundi à la même heure avec mes honoraires. Je ne lui demandai pas quelle somme je lui devais et déposai, comme la première fois, deux cents francs sur le bureau poussiéreux encombré de gris-gris, de talismans et de paperasses.
Je rentrai chez moi pleine d'espoir et guettai le moindre coup de téléphone.
Mercredi, vers midi, David appela.
- C'est vous Lilith ?
- Oui! dis-je d'une voix blanche, le coeur battant follement dans la poitrine.
- Je suis David ! Vous vous souvenez de moi ?
- ....
- Je voulais m'excuser pour l'autre jour, je me suis conduit comme un goujat! J'aimerais me faire pardonner ma muflerie. Puis-je venir vous voir ?
Trop heureuse de cet appel que je n'attendais plus je ne sus quoi lui dire et, sottement émue, je lui raccrochai au nez. Il rappela quelques secondes plus tard.
- Lilith! Je vous en prie, soyez indulgente! Je me suis mal conduit au Fouquet's, mais j'aimerais vous revoir!
Au comble de la joie, je balbutiai:
- Venez, je vous attends chez moi!
Je lui donnai mon adresse. Un quart d'heure plus tard il était dans mes bras.
Nous fîmes l'amour tout le jour et toute la nuit. Ce fut merveilleux. Le lendemain il alla chercher ses affaires dans son studio et s'installa chez moi. Pour la vie.
Nous vécûmes trois jours fantastiques
Nous vécûmes trois jours fantastiques, sans sortir de l'appartement, sans nous rassasier l'un de l'autre. Vivant d'amour, de caviar et de champagne. Samedi midi nous allâmes déjeuner au Fouquet's. Le soir nous prenions l'avion pour la Côte d'Azur. Nous passâmes trois jours de rêve à l'Eden Roc si bien que j'en oubliai complètement mon rendez-vous avec Sélim. Et d'ailleurs maintenant que David était là, quelle importance! Je me fichais complètement de ce vieux Mage libidineux et voyeur.
Mardi soir, en rentrant chez "nous", je trouvai au courrier une petite boîte en bois de rose contenant la photo de David et la "poupée" avec les aiguilles que j'y avais moi-même plantées. Un petit papier blanc accompagnait les objets sur lequel une écriture malhabile avait tracé: 25.000 F.
Je déposai le tout dans un tiroir qui fermait à clé me promettant de le jeter à la poubelle dès le lendemain. Le chiffre de 25.000 me trotta par la tête. Le mage avait-il vraiment la prétention de me réclamer 25.000 F. pour son intervention? Dans mon bonheur retrouvé je me persuadai qu'il n'était absolument pour rien au retour de mon amant. Je m'attribuais tout le mérite de ce retournement de situation. David me revenait parce que j'étais jeune, belle, que je lui plaisais!
Maintenant qu'il était là je ne désirais plus rien d'autre. Je me sentais belle, j'étais riche, amoureuse et ... aimée. Du moins je le croyais.
Le vendredi suivant je devais m'absenter. Une fête de famille à Londres à laquelle je ne pouvais échapper. Je décidai David à m'accompagner. Il s'installerait au Savoy et je l'y rejoindrais à chaque instant de liberté. Je ne pouvais décemment l'emmener coucher chez mes parents, encore très "Vieille Angleterre", trop à cheval sur les principes.
Au dernier moment mon amant trouva un prétexte pour rester à Paris. Une séance de tournage! dit-il. Notre séparation à Roissy fut un arrachement.
A Londres je me barbai toute la journée et, le soir venu, après avoir embrassé toute la famille, je les plantai là et repris l'avion pour Paris.
Je voulais faire une surprise à David.
Pour une surprise, vraiment, c'est moi qui eus droit à une belle surprise.
Je trouvai David au lit, dans mon lit, en train de faire l'amour à Daisy Malcomby, ma meilleure amie! Folle furieuse, meurtrie dans ma passion et dans mon amour-propre je chassai Daisy et David sans pitié. Ce n'est qu'après leur départ que je me rendis compte, en voulant ranger dans mon coffre les bijoux que je portais, qu'il avait été vidé de tout l'or, argent, devises, bijoux et cartes de crédit qu'il contenait. Une véritable fortune!
J'avais imprudemment laissé la clé dans mon secrétaire et David en connaissait sûrement la combinaison m'ayant vu faire chaque jour.
Non seulement ce petit salaud me trompait mais il me volait!
J'hésitais à appeler la police, ayant peur du ridicule, mais je ne pouvais laisser passer ça! En mettant tout sens-dessus-dessous dans ma rage de destruction je tombai sur la poupée de cire et la photo de David que j'allais déchirer en mille morceaux lorsque mue d'une intuition subite, je m'installai devant mon secrétaire, tirai un cheveu de ma longue chevelure et le nouai autour d'une aiguille. Puis, prise de frénésie, je transperçai la figurine de part en part, n'épargnant aucune partie de son corps. Je piquai comme une folle, animée d'une joie mauvaise, lardai la cire molle jusqu'à ce qu'elle se disloque sous mes coups d'aiguille.
Il était minuit.
Je m'arrêtai soudain, muette de surprise, lorsque du sang se mit à perler goutte à goutte de ce qui restait de la poupée. Il était minuit. Ma rage retomba comme elle était venue et je demeurai immobile, incrédule devant le spectacle navrant tandis qu'une sourde angoisse me poignait le coeur. Je ne dormis pas de la nuit. J'appelai David chez lui. Son téléphone resta désespérément muet.
Le lendemain matin j'appris par la radio et les journaux que l'acteur David Ashley était mort au cours de la nuit dans un accident de voiture aux côtés d'une jeune passagère grièvement blessée. L'article parlait aussi de bijoux et de billets de banque éparpillés sur la chaussée.
Dans l'après-midi un coursier sonna à ma porte et me remit une enveloppe noire contenant une feuille blanche sur laquelle une main malhabile avait griffonné:
25.000 F. + 100.000 £ ou /une tête de mort)
Depuis j'ai peur. Pour me débarrasser du Mage je décidai de le payer. Je passai à ma banque, retirai la somme exigée en liquide, la plaçai dans une mallette et me rendis à Vincennes.
Au 142 de l'avenue de Paris je trouvai porte close. J'insistai. La porte n'était pas fermée à clé. J'entrai, sur la pointe des pieds et découvris le sinistre cabinet de Sélim sens-dessus-dessous, meubles fracassés, fauteuils éventrés, lit retourné et, au milieu de ce désordre, le mage lui-même, gisant tel un pantin disloqué, tenant dans sa main la photo qu'il avait prise de moi, assise nue sur son lit crasseux.
Je la retirai doucement de ses doigts déjà raides. Je m'en allai discrètement, comme j'étais entrée, dévalai l'escalier sans rencontrer personne, m'engouffrai dans ma Jaguar sans me retourner. Deux heures plus tard j'étais dans l'avion de Londres, bien décidée à ne jamais remettre les pieds à Paris
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